Henri Grandjean, horloger bâtisseur, bienfaiteur

L’horloger Henri Grandjean est d’abord réputé pour sa maîtrise des complications horlogères, son sens de la simplification, de la bel-ouvrage et du culte de la précision. Ses œuvres, qui se distinguent dans les concours de chronométrie organisés par les Observatoires, sont régulièrement primées dans les expositions universelles internationales (Londres, Paris, Berne, Santiago et Philadelphie). A sa parfaite connaissance de la science chronométrique s’ajoute une deuxième compétence, celle d’être en mesure de défendre commercialement avec succès ses créations

Ses créations dont la bienfacture force encore aujourd’hui l’admiration, des chronomètres de marine et des montres de poche, sont présentes dans les musées horlogers dont le Château des Monts, le Musée d’Horlogerie du Locle, qui en détient quelques pièces parmi les plus exceptionnelles. Un musée doté également d’un «Fonds Grandjean», ce qui lui confère une dimension dépassant la simple fabrication de montres. Sa production, sous Grandjean & Cie, est estimée entre 150 à 200 pièces. Les principales maisons de ventes aux enchères ont toutes vu passer sous leurs marteaux, durant les trente dernières années, une ou plusieurs références signées de ce maître horloger. Le célèbre expert horloger Dr. Helmut Crott, par ailleurs collectionneur vénéré et père des toutes premières ventes aux enchères horlogères, en possède au moins une, comme bon nombre de ses pairs.

Entré en franc-maçonnerie vers l’âge de 29 ans, Henri Grandjean s’implique dans la vie citoyenne de sa région au point de risquer sa vie dans la Révolution de 1848, la résistance des hauts neuchâtelois à la monarchie prussienne. Son engagement lui vaut d’entrer au Grand Conseil du Locle et d’effectuer deux législatures au Conseil national. Abonné à de nombreuses œuvres caritatives et culturelles, Henri Grandjean sera également, sur le plan de l’urbanisme local, à l’origine du quartier du Progrès (ou Quartier-Neuf), destiné à permettre aux ouvriers d’accéder à la propriété. Un quartier à qui la ville du Locle doit d’avoir été reconnue, en même temps que La Chaux-de-Fonds, au Patrimoine Mondial de l’Unesco (urbanisme horloger).

Henri Grandjean construit l’Observatoire de Neuchâtel. C’est sous son impulsion et grâce à sa détermination que l’Ecole d’Horlogerie du Locle voit le jour en 1868

Amérique du Sud à l’âge de 21 ans

Né le 14 décembre 1803 au Locle, Henri Grandjean est le fils de l’horloger David Henri Grandjean (La Sagne) et de Suzanne Marie Lenoir (Château d’Œx). Il commence son apprentissage à l’âge de 12 ans à la maison dite de la Maltournée, située au Locle, sur les Monts. En 1824, à 21 ans, il obtient un passeport pour le Brésil où il développe et agrandit les comptoirs horlogers créés par son père. Il parcourt plusieurs pays d’Amérique du sud.

Chronométrie de précision, esprit novateur

Peu pratiquée en Suisse à l’époque, l’horlogerie de précision demeure sa vision. Il s’y consacre dès son retour au Locle en 1830. Il entreprend avec l’aide de son père la construction de son chronomètre de marine N°1, s’inspirant, non sans y apporter quelques modifications et améliorations, des meilleurs modèles de son temps, les chronomètres anglais. Ainsi équipe-t-il sa pièce de deux ressorts dans le barillet, d’un balancier non coupé avec lames bimétalliques à l’intérieur, agissant sur des masses compensatrices. Plus grandes que ses semblables anglaises, la pièce sera livrée au Brésil avant de revenir, bien des années plus tard et au terme de rocambolesques aventures, entre les mains de son créateur.

Esprit novateur, Henri Grandjean expérimente par la suite divers procédés: balanciers à vis ou à masse, échappements à détente pivotée ou à détente-ressort, spiraux circulaires ou sphériques. Si aucun de ces systèmes ne lui paraît en soi meilleur qu’un autre, il insiste en revanche sur les courbes terminales du spiral, telles que vient de les calculer le mathématicien Edouard Phillips (1821-1889).

Bien avant le physicien prix Nobel Charles-Edouard Guillaume (1861-1938), il envisage d’utiliser un alliage de nickel pour les spiraux. Travaillant sur des calibres différents, Henri Grandjean démontre que la taille d’un mouvement ne détermine pas sa précision. Si son calibre préféré est un 56 lignes à deux platines, disposant d’une réserve de marche de cinquante-six heures, il réalise aussi des montres marines de petite dimension, jusqu’à 26 lignes. Il s’illustre par son sens de la simplification technique et par l’indiscutable niveau élevé de ses finitions.

Henri Grandjean Genève (Le Locle)

Au terme d’une longue maladie, Henri Grandjean décède sans laisser d’héritier. Sa fortune, ses immeubles ainsi que son entreprise sont donc transmis à sa nièce Oline Rossel, née Grandjean, la fille de son frère décédé très tôt, qui lui avait été confiée. Mère de cinq enfants, puis d’Auguste Rossel, un ancien employé de Henri Grandjean & Cie, Oline Rossel perpétue l’œuvre l’œuvre de son père adoptif, s’associant par la suite à l’un de ses quatre fils, Gustave.

Il est probable que l’héritière Oline qui disposait du droit d’utlisation de la raison sociale « Successeurs Henri Grandjean », ait ensuite cédé le nom que l’on retrouve inscrit à Genève le 10 novembre 1923 à Genève (Plainpalais) sous la raison sociale « SA de la Fabrique des montres Henry Grandjean & Cie. » Historiquement, la signature « Henri Grandjean » peut dès lors être associée à Le Locle et à Genève

Dans le canton de Neuchâtel, en.Suisse, il y a le petit village de la Côte-aux-Fées, berceau des Piaget, des Grandjean, il y a le Val de Travers et la Vallée de La Sagne d’où sont issus tant d’autres illustres noms de l’histoire horlogère: Abraham Louis Breguet, Louis Moinet, Ferdinand Berthoud, Pierre Jaquet-Droz.

Joël A. Grandjean